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Freidoune Sahebjam
Le Monde du 6 septembre 1997
L'Iran vidé de son patrimoine:
patrimonicide
C'est avec le plus vif intérêt que j'ai lu la remarquable série de documents que Le Monde vient de faire paraître concernant le pillage d'oeuvres d'art de par le monde. Vos collaborateurs nous ont ainsi emmenés au fil des jours de Paris en Afrique, du Proche-Orient à l'Asie du Sud-Est, de la Californie aux Andes, etc.
Votre série se termine par une réflexion de George Ortiz, qui n'admet pas que l'achat d'une pièce sortie illégalement d'un pays soit assimilée à un vol. Mais que dire lorsque c'est l'Etat lui- même, à travers ses fonctionnaires et ses grands commis, qui pille officiellement son patrimoine ?
Depuis bientôt vingt années, l'Iran est systématiquement vidé de son patrimoine. Cela a commencé durant la dernière année du règne du dernier shah, quand ministres, ambassadeurs, généraux, courtisans, sentant venir la fin du régime, ont minutieusement détourné, dans certains musées, palais, bibliothèques, objets d'art et manuscrits, soit pour décorer leurs demeures en Occident, soit pour « conserver une poire pour la soif ».
Comme ils disposaient de passeports diplomatiques, les douanes iraniennes de l'époque ont fermé les yeux. Cela a continué sous le règne des mollahs, qui ont vidé le musée Iran-Bastan comme la tour Shahyad notamment, la bibliothèque impériale ou le Musée d'Ispahan pour transférer en Europe et aux USA les plus belles pièces du patrimoine persan : assiettes de Gorgan (VIIIe), poteries de Sialk (XIe-VIe avant J.-C.), bronzes du Louristan (VIe avant J.-C.), gobelets en or de Marlik (Xe avant J.-C.), statuettes parthes (IVe avant J.-C.), monnaies, bijoux, mosaïques, céramiques, parchemins uniques au monde.
Que dire de galeries ou de musées qui ont accepté d'acquérir de telles merveilles inscrites au patrimoine de l'humanité ? Que dire de conservateurs connus et de critiques estimés qui ferment les yeux devant ce trafic? Plus que du vol et de l'escroquerie, c'est un crime qui n'intéresse personne !
Freidoune Sahebjam
Le Monde du 6 septembre 1997